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Microcrédits : Outil bancaire à double tranchant?

Dans le cadre des objectifs du millénaire pour le développement, l'ONU a déclaré il y a maintenant plus de dix ans, 2005 comme étant l'année internationale du microcrédit. Un an plus tard, le 13 octobre 2006, Muhammad Yunus, fondateur du microcrédit et de la Grameen Bank, première banque spécialisée dans les microcrédits, reçoivent conjointement le prix Nobel de la Paix. « Une paix durable ne peut pas être obtenue sans qu'une partie importante de la population trouve les moyens de sortir de la pauvreté », a déclaré Ole Danbolt Mjoes, le président du comité Nobel à cette époque.

L'idée est simple. Un microcrédit consiste en l'attribution de prêts de faible montant principalement à des entrepreneurs, des commerçants, des exploitants agricoles ou des artisans qui ne peuvent pas accéder aux prêts bancaires classiques. Avec le temps, ce dernier a évolué et permet aujourd'hui de financer divers biens de consommation. Cette attribution de prêt se développe surtout dans les pays en développement où il permet de concrétiser des microprojets favorisant ainsi l'activité et la création de richesses, mais il se pratique également dans les pays développés. C'est en 1976, qu'apparaît le microcrédit tel qu'on le connaît aujourd'hui. Pour mieux comprendre comment ils ont pris forme, il est nécessaire de s'intéresser brièvement à son fondateur, Muhammad Yunus, économiste et entrepreneur, né en 1940 à Chittagong, au Bangladesh. Il fait une partie de ses études en économie dans sa ville natale et à la fin des années soixante, il réalise sa thèse à l'université de Vanderbilt à Nashville dans le Tennessee. Yunus obtient ensuite un poste à l'université State du Tennessee, poste auquel il renoncera trois ans plus tard, en 1972, afin de retourner au Bangladesh un an après qu'ait été proclamée l'indépendance. Il revient plein d'enthousiasme sentant qu'une nouvelle aire s'annonce pour son pays. Souhaitant mettre ses compétences au service de sa nation, il devient professeur d'économie à l'université de Chittagong, il a alors 32 ans. Face à la misère dans laquelle est plongé le Bangladesh, une des nations les plus pauvres au monde, Yunus exprime sa frustration: "Pendant que j'enseignais de belles théories économiques, des gens mouraient. C'était très difficile à accepter et j'ai commencé à réfléchir à ce que je pouvais faire pour aider les pauvres à sortir de la pauvreté." C'est alors qu'il crée un groupe de recherche avec ses étudiants et s'intéresse de près au travail de paysans vivant dans un village proche de l'université. Il se rend vite compte combien l'accès à des capitaux les plongerait davantage dans la misère au vu des taux excessifs pratiqués par les usuriers (plus de 20%). Il mène alors une étude en se basant, entre autres, sur un groupe de 42 femmes artisanes qui, avec seulement 27 dollars, pouvaient développer correctement leur activité. Or, toutes les banques refusaient de financer ce faible montant et pensaient ces potentielles clientes insolvables. Yunus décida alors de prêter lui-même cette somme de sa propre poche, permettant à ses femmes d'acheter en avance le matériel indispensable à leur production. Les premiers résultats furent impressionnants : Elles réussirent à créer des emplois et à rembourser intégralement Yunus. Des projets pilotes du même type se sont alors suivis avec succès. Face au refus des banques d'appuyer son projet, Yunus créa lui-même sa propre banque qu'il nomma Grameen Bank, "Banque des villages" en bengali, et reçut l'approbation du gouvernement deux ans plus tard. Au fil des années Yunus a pu estimer qu'il fallait en moyenne dix cycles de prêt à un emprunteur pour sortir de la pauvreté. La Grameen Bank s'est rapidement transformée en plusieurs autres projets réussis qui ont également profité aux habitants les plus pauvres des zones rurales du Bangladesh.

À ses débuts, une des finalités principale du microcrédit était donc de sortir les personnes de l'extrême pauvreté, en encourageant le développement de microprojets et ce à un niveau local. En effet, ces microprojets sont souvent efficaces et ont l'avantage d'avoir un effet 1

d'entraînement, créant ainsi un maillage économique dans le pays, tout en englobant les personnes les plus pauvres. Le succès de ce moyen de financement s'est ensuite déployé dans les pays plus développé au niveau économique, faisant partie de moyens de combattre l'exclusion bancaire et sociale. En France, par exemple, le microcrédit existe sous deux formes : personnel et professionnel, ce dernier s'élevant à un montant généralement inférieur à 25000 euros. En 2005, un rapport de la Banque Mondiale a dressé un bilan plutôt positif. Le nombre de bénéficiaires était estimé à 500 millions, l'Asie et le Pacifique totalisant 83 % des comptes ouverts. Au Cambodge, 400 000 personnes étaient concernées et 18 000 nouveaux comptes étaient ouverts chaque année au Kenya. C'est toutefois en Amérique latine et en particulier en Bolivie que le système a connu son plus grand essor, faisant apparaître ce pays comme l'un des plus avancés et des plus compétitifs de la microfinance. En France, 12 000 microcrédits ont été accordés en 2010. La moyenne des prêts étaient de 6000 euros maximum avec un taux d'intérêt d'environ 9,7 %, et un taux de remboursement de 94%. En ce qui concerne les entreprises créées grâce au microcrédit, elles enregistreraient un taux de réussite équivalant à la moyenne nationale et 68 % continuait leur activité deux ans plus tard. En 2012, le microcrédit représentait 90 milliards de dollars d'encours de crédit dont 25 à 30 milliards pour l’épargne.

Cependant, malgré les nombreux côtés positifs et l'engouement engendré, les microcrédits ont attiré des acteurs financiers pas toujours disposés à respecter ses principes fondateurs, les redirigeant ainsi vers la consommation de biens matériels et appliquant des taux d'intérêt davantage élevés. Cette aura de sainteté qui entoure les microcrédits leur sert donc de label et leur assure une rentabilité financière importante. Dans certaines situations, le microcrédit amène les clients au surendettement et suite à plusieurs crises liées à cet aspect, l'image du secteur a sérieusement été écornée. Plusieurs institutions de microfinance sont actuellement infiltrées par ces "pirates du microcrédit" qui ont très bien compris comment attirer une clientèle spécifique en leur donnant accès à des prêts qui rendent possible la consommation immédiate de produits en tous genres. Il existe également certaines institutions de microfinance (IMF) qui dupent les créanciers comme les emprunteurs, en utilisant l'image progressiste du microcrédit comme signe de confiance. Ainsi, le LAPO, principale IMF au Nigeria a bénéficié du soutien d'investisseurs internationaux comme la Deutsche Bank et d'une très bonne notation par Microrate sur Microplace, filiale d’eBay, alors qu'elle pratiquait des taux de 126%. Du reste, cette institution pratiquait l'épargne forcée, ce qui consiste à conserver une partie du prêt sur laquelle l'emprunteur paie des intérêts, le tout, sous prétexte d'éduquer les populations pauvres à l'épargne. C'est un fait, la pauvreté octroie un pouvoir très attractif au crédit. Certains États de pays en voie de développement, fortement peuplés et par conséquent où les demandes de petits crédits sont nombreuses comparés aux capitaux disponibles, mettent en place, à l'aide de grandes IMF, des taux d'intérêt élevés afin de mener la concurrence et d'attirer des capitaux. De ce fait, le Mexique permet à la principale IMF "te creemos", de pratiquer des taux de 125 %, contre 37 % sur le plan international. Face à de telles dérives, Muhammad Yanus a déclaré : "Le microcrédit devrait être perçu comme la possibilité d’aider les gens à sortir de la pauvreté par le jeu du marché, et non comme un moyen de gagner de l’argent sur le dos des pauvres." Le secteur tente de réguler ce phénomène à l'aide des banques centrales et au travers de l'autorégulation. En 2012 des "standards universels de gestion de performances sociales en microfinance" ont été mis en place faisant un appel mondial pour une microfinance responsable, le but étant de rappeler les valeurs éthiques et l'orientation sociale qui devraient caractériser et inspirer toutes les IMF. Très rémunérateur et estimé peu risqué, le microcrédit est a priori compétitif sur les marchés financiers et devrait intéresser un nombre grandissant de banques pour qui les faibles contrôles imposés par la loi sont une facilité. Cette pratique favoriserait alors la formation de

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bulles similaires à celles ayant engendré une crise de l'immobilier en 2006 aux États-Unis. Même si ce scénario est peu légitime, il doit cependant être considéré parmi les risques possibles de dérives. Entre 2008 et 2010, plusieurs régions du monde ont connu des crises, enregistrant des taux d'impayés massifs et une forte diminution de leurs activités. C'est le cas notamment du Maroc, du Pakistan, du Nicaragua et de l'Andhra Pradesh en Inde. Sur les scènes européennes, le microcrédit reste toutefois marginal et dépend largement de subsides publics. Sur le plan international, des volumes beaucoup plus importants sont déployés auprès des institutions de microfinance. Les variantes du microcrédit sont donc nombreuses et dépendent beaucoup des États et des institutions qui les dirigent. Malgré les valeurs sociales fondamentales qui ont impulsé la création du microcrédit afin d'amener les personnes à une vie économique plus indépendante, comme toute idée ou concept, des nuances sont à prendre en compte. Les derniers chiffres disponibles datent de 2013 et nous viennent de la dernière campagne du sommet du microcrédit, le CSM qui a recensé 211 millions de clients et 3080 institutions de microfinance environ à travers le monde. Il reste donc de beaux jours aux microcrédits mais il est difficile de déterminer la suite de son évolution. Ces dernières années, le monde de la microfinance s'est vu frappé par un scandale suite aux nombreuses accusations faites à Mahammad Yunus par le gouvernement bengali, à ses différends avec la première ministre et à son expulsion avec effet immédiat de la Grammen Bank, le 2 mars 2011.

Nafis Awal

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